Article mis à jour le 29 juin 2023
Peu de vêtements incarnent à eux seuls une part de l’histoire et de la culture de plusieurs générations. Force est de constater que c’est le cas du Perfecto. Plus qu’un simple blouson ou qu’une simple veste en cuir, il représente l’esprit rebelle et le style qu’a pu revendiquer la jeunesse d’après-guerre.
Issus des ateliers des frères Schott, et notamment dessiné par Irving Schott, il est le fruit d’une commande spéciale passée par la marque Harley Davidson… Schott, Perfecto, Harley Davidson, autant de symboles qui à eux seuls font jaillir en nous la parfaite image du rebelle en quête de liberté et d’indépendance !
Le Perfecto vient de fêter ses 90 ans, et pourtant, il fait toujours partie de la garde-robe et de l’inconscient collectif, au même titre que le jean ou les Doc Martens !
Petit focus sur cette veste en cuir vintage qui défie les codes vestimentaires et le temps, tout en se réinventant au fil des générations et des années.
Les caractéristiques du Perfecto
Irving Schott a dessiné et créé ces blousons en cuir pour assurer la sécurité des motards en cas de chute. C’est donc en se basant sur cette problématique qu’il dessina le premier modèle.
Les premiers modèles sortis des ateliers étaient alors en cuir de cheval. L’armée américaine utilisait ce cuir pour la confection des blousons des aviateurs (bomber) de l’époque. La guerre finie, d’énormes stocks restaient, et c’est ainsi qu’Irving se tourna naturellement vers cette matière. N’oublions pas que la résistance était au cœur de la problématique.
Qu’est-ce qui définit le perfecto :
- Sa fermeture à glissière croisée : elle permet de doubler l’épaisseur du cuir sur la partie avant, protégeant ainsi le torse en cas de chute. La fermeture zippée ne retrouvait alors que sur les jeans « Lee ».
- Son col en cuir doté de pressions qui permettait que ce dernier ne batte pas à pleine vitesse (n’oublions pas qu’il était prévu pour les bikers !).
- Ses fermetures zippées au bas des manches permettant d’ajuster ces dernières et d’éviter que l’air ne s’y engouffre.
- Sa ceinture faite pour ajuster au mieux le blouson à la taille et ainsi éviter le froid de pénétrer. Cette pièce faite de la même matière que le blouson, participa à créer le look biker !
Loin de penser au phénomène de mode qu’il engendrerait, son créateur a avant tout pensé aux motards et à leur confort !
Le saviez-vous ? Le nom du vêtement est inspiré des cigares cubains que fumait Irving, Perfecto ! C’est d’ailleurs cigare aux lèvres qu’il dessina et créa la première pièce qui portera ce nom.
A l’époque, c’est en suivant les conseils et les remarques des membres du club Harley Davidson qu’il créa son modèle. Chaque motard aurait dorénavant droit à une tenue adaptée, en rapport à sa passion, la moto !
L’effet de mode inattendu
Au départ, c’est effectivement sur les épaules des motards que ce blouson en cuir est essentiellement porté. Clark Gable fut une des premières figures du monde du cinéma à porter ce vêtement. Féru de moto, c’est naturellement qu’il l’adopta. Les années 50, avec la naissance du rock et de la mode qui en découlait, allait faire du perfecto un symbole à part entière ! Les photos des icônes de l’époque attisent le mouvement.
Avec la sortie sur les écrans du film « l’équipée sauvage », mettant en scène Marlon Brando, rebelle sans peur et en quête de liberté portant sur ses épaules la fameuse veste en cuir, le perfecto en cuir noir devint le vêtement à la mode, symbole d’appartenance à un mouvement et de l’aspiration à un idéal de vie. A cette époque, il était alors interdit de le porter à l’école, sous peine de se voir expulsé ! Bien s’habiller était signe de respect des règles et des conventions, tandis que porter du cuir était irrévérencieux.
James Dean avec son film « la fureur de vivre » et Elvis et ses vêtements en cuir près du corps, devenaient à leur tour des icônes, faisant du perfecto un des vêtements caractéristiques de leur style et de leur look. Dès lors, la légende était lancée. Les années d’or étaient encore à venir avec l’émergence du mouvement « blouson noir » jusqu’au début des années 60. Johnny fut probablement le représentant le plus connu de ce mouvement en France.
Certes, l’émergence des « yé-yé » vint un peu freiner cet engouement, mais c’est outre-Manche que la mode repartit comme une traînée de poudre ! Le mouvement Punk et ses têtes de file allaient remettre le perfecto sur le devant de la scène. Les Clash, les Ramones, les Sex Pistols et le tristement célèbre Sid Vicious en ont rapidement fait le vêtement anticonformiste par excellence !
Porté avec un jean slim et dans tous les états, le perfecto est alors transformé, customisé, voire peint, pour devenir l’emblème d’un mouvement. Le rock est mort, vive le Punk !
Des pièces y sont alors ajoutées. On y colle des badges, des clous, on le perfore, lui coupe les manches pour le porter sur une veste en jean, on change la couleur, on le torture pour mieux se l’approprier… Il n’est plus en cuir de cheval, mais en cuir de vachette plus souple. On l’appelle « perf », mais l’essence du vêtement est là, le perfecto continue de vivre !
Quand Schott comprend le phénomène : variations sur un même thème !
A vrai dire, Schott n’a pas attendu que les porteurs du célèbre vêtement décident de le modifier, pour le faire évoluer.
Plusieurs déclinaisons du perfecto existent. Le modèle original compte 4 poches :
- 2 poches zippées sur les hanches.
- 1 poche zippée sur la poitrine.
- 1 poche à rabat laissant apparaître une pression métallique.
Au-delà de ces détails, le modèle compte de petites épaulettes visant à accentuer la coupe en V de la veste, ainsi que des boutons permettant d’attacher le col pendant que l’on conduit sa moto.
Le modèle 613 « one star » est né à la fin des années 40. Ce qui le distingue, c’est la présence d’étoiles sur les épaules. Bien que le modèle original ait fait la notoriété de la marque et de la coupe, c’est le 613 que les jeunes rockers recherchaient. Lui aussi possède les mêmes poches que le modèle précédent, en revanche, il ne comporte pas de boutons au col. Sa doublure en revanche faisait état de la différence, en affichant la mention « one star ».
Vint ensuite le Schott 618. Ce dernier était très proche du 613, à la différence des étoiles sur les épaules et des boutons, logotés cette fois, qui refont leur apparition au niveau du col. C’est d’ailleurs un 618 que porte Marlon Brando dans « l’équipée sauvage ». Cependant, ce dernier est « customisé », avec l’ajout d’étoiles sur les épaules. Ce sont les boutons du col qui n’ont pas trompés les puristes !
Le saviez-vous ? Les revendeurs ont fait la chasse aux voleurs d’étoiles ! Ces derniers entraient dans les boutiques uniquement pour dérober ces décorations qu’ils collaient ensuite sur les épaules de leurs 618. Durant les années 50, certains allaient même jusqu’à coller des étoiles dérobées sur des décorations militaires !
A la fin des années 70, en 77 précisément, c’est le Schott 118 qui voit le jour. Certes, les différences entre les modèles sont ténues, mais dans ce cas, c’est la coupe qui diffère légèrement, ainsi que la matière. Le cuir de vachette, beaucoup plus souple et moins adapté à la moto fait son apparition. C’est celui que les punks adapteront à leur style, à leur look et à leur tenue, étant né la même année que le courant musical.
Quand la mode redonne ses lettres de noblesse au perfecto
Lorsqu’une pièce devient emblématique, les marques de vêtements de mode laissent rarement passer l’occasion de s’approprier le phénomène, soit en le détournant, soit en le mettant au goût du jour…
En matière de style et de look, les années 80 étaient plutôt axées sur les matières synthétiques aux couleurs fluos. Le perfecto pour homme restait l’apanage des rockeurs rebelles, dont Renaud par exemple, était le parfait symbole. Certes, certaines belles pièces en cuirs, se portaient toujours, mais les coupes n’avaient alors rien à voir avec ce que les décennies précédentes avaient pu proposer.
Ce serait mentir que de dire qu’il disparaît des écrans, ne serait-ce qu’en pensant à Michael Jackson. La star de la pop porte alors un modèle rouge, qu’il a d’ailleurs rendu célèbre grâce à son clip « Thriller ».
C’est au début des années 90, en 91 précisément, que le photographe Peter Lindbergh fait entrer le perfecto dans le monde de la mode. Une série de clichés mettant en scène les « top modèles » de l’époque, un perfecto sur les épaules, fait alors sensation et redonne au fameux blouson en cuir l’occasion de rentrer au panthéon des vêtements iconiques. Cette série de photos prises pour Vogue va permettre la renaissance d’un mythe.
Les marques s’emparent alors du phénomène et commencent à proposer leur version du fameux blouson en cuir. La coupe est adaptée et transformée, mais la silhouette reste la même. Le col n’est plus boutonné, mais la fermeture croisée et la ceinture restent de mise. En clair, le perfecto renaît et n’est plus seulement le blouson du rebelle, mais bel et bien un vrai vêtement de mode.
Une décennie plus tard, c’est le sulfureux couple Doherty/Moss, qui l’associera à un simple T-shirt et un jean slim, et qui remettra alors le perfecto sur le devant de la scène. Dès lors, plusieurs marques célèbres (Zadig et Voltaire, Caroll, et même YSL) vont l’inclure dans les défilés et le proposer dans leur saison.
90 ans, et pas une ride !
Mis à part le jean, rares sont les vêtements à avoir ainsi traversé les époques. Peu de marques ont réussi à imposer une coupe et une matière comme Schott a su le faire. Le secret, c’est l’appropriation de chaque génération. Chacune en a fait l’usage et s’est sculpté une image autour de ce blouson en cuir.
Aujourd’hui, le perfecto est tantôt en cuir d’agneau, tantôt en cuir de vachette, tantôt bordeaux, tantôt bleu, voire blanc… De nombreuses déclinaisons existent, chacune adaptée à un style et un look particulier. On le retrouve dans de nombreuses collections, proposant à la fois des finitions raffinées et cossues. Il ne s’agit plus de ne le porter qu’en moto, mais bel et bien dans la vie de tous les jours, sans pour autant passer pour un rebelle ! Il s’est adouci avec le temps, voir même s’est embourgeoisé, pour être porté par un large public. Il n’existe pas qu’une catégorie de personnes qui le porte aujourd’hui, mais tout un panel de gens, qui souhaitent aussi bien un look affirmé, qu’un vêtement de qualité et soigné dans les moindres détails. Le rapport du public au perfecto a ainsi changé et évolué dans le temps, tout comme le blouson en lui-même !
Depuis le jeune hipster qui cherche à détourner un style rock, jusqu’au bon père de famille qui préfère un cuir marron, le perfecto est aujourd’hui présent dans la garde-robe de milliers de personnes. Le perfecto femme représente également une part importante du marché du cuir pour femme. Ces dernières arrivent à le porter simplement, voire à l’associer à des tenues que les frères Schott n’auraient pas soupçonnées ! Avec des talons et une petite robe, il devient un « must » de ce que la mode peut offrir en matière de style.
Inutile d’aller dans une friperie pour trouver une pièce d’occasion comme c’était le cas à l’époque, les marques proposent maintenant tellement de versions différentes, que vous trouverez forcément un modèle et une matière qui saura vous séduire. Et si vous retrouvez un vieux modèle dans votre penderie, sachez qu’il existe mille façons de le porter !
En 90 ans, ce vêtement est passé de la panoplie du biker rebelle, à la garde-robe de la fashionista la plus branchée… Qui sera capable de dire ce qui attend le perfecto pour les décennies à venir ?